Chez nous, il y a, comme partout au Niger, une fada. Une fada, c’est un groupe d’amis qui causent de tout et de rien, généralement autour d’un verre de thé. En France, on appelle ça le café du commerce. Dans notre fada, ces temps-ci, on parle politique. Chacun a sa vision et sa logique, bien nigériennes. Il y a Boubé, un petit opérateur économique, qui cherche pour qui voter, Djibo, militant de base de toujours du MNSD et Issif, l’intellectuel, partisan du PNDS, le parti socialiste, dans l’opposition depuis dix ans. Les débats sont si crus que je ne peux tout reproduire, au risque de me faire trop d’ennemis dans mon pays d’adoption. Ce matin, on commentait encore un peu les résultats des locales mais, surtout, les alliances à venir. Boubé a voté MNSD chez lui, dans l’espoir d’avoir des marchés à la future mairie. Il a été battu. « Nos villageois ont une dent contre le MNSD qui ne les a pas soutenus dans la crise de l’insécurité. » Mais alors, pourquoi voter MNSD ? « Parce que le candidat du PNDS est un opérateur économique comme moi, et nous sommes jaloux. On ne s’aime pas. » Et Lumana ? « Nous savions que Lumana ne peut pas passer chez nous parce que son candidat n’est pas aimé. C’est un étranger qui est venu dans notre village faire la pluie et le beau temps. » D’habitude, raconte Boubé, « nous trichons et nous gagnons. C’est comme ça qu’on a toujours battu le candidat du PNDS. » Cette fois, ça n’a pas été possible. Je lui conseille de soutenir le PNDS aux législatives. Il est encore temps. Mais non, soupire Boubé : « ils m’ont repéré. Maintenant, je suis confus. Je cherche les informations, parce que je n’ai plus droit à l’erreur. Mais si je perds, je ne suis pas orgueilleux, j’irai au PNDS. »

Les informations circulent, allègrement mêlées à toutes sortes de rumeurs et de spéculations, aussi fantaisistes que nombreuses. Salou Djibo serait le fils spirituel d’Ali Chaibou ; ce dernier aurait appelé les deux leaders rivaux de l’ex parti unique à la réconciliation, la moitié du régime de transition serait membre du PNDS tandis que Hama Amadou bénéficierait du soutien de Nicolas Sarkozy. Untel est borné, l’autre arrogant, l’autre égoïste, l’autre un traître. Qui choisir ?
Djibo votera MNSD, c’est certain et, à défaut, Hama Amadou. Même si les deux hommes se faisaient une guerre acharnée jusqu’à récemment, « c’est un ancien d’entre nous et il ne se laisse pas faire. » « Si on prend Seyni, le Niger sera stable. Seyni, c’est le nouveau Tandja. Il est calme. » Boubé : « Il faut Hama pour la bonne gouvernance car il est impoli, arrogant et ça peut marcher. Mais je ne suis pas pour lui car il a écarté mon père. »
Issif s’inquiète : « si Issoufou perd les élections, c’est la même pagaille de la 5e République qui va revenir. Ce serait une très mauvaise chose pour le pays : des gens qui prétendent nous diriger et qui ne sont pas fichus de constituer leurs dossiers de candidature ? » Boubé, conciliant : « L’erreur qu’on a commise, c’est de donner à une seule personne le pouvoir absolu. Ce temps là est fini ; on n’acceptera plus. Et les militaires seront toujours prêts à revenir. »